Sorti en 2003, Victoria : An Empire Under the Sun alliait avec brio simulation économique, politique intérieure et diplomatie. Les joueurs pouvaient présider aux destinées d’une nation à travers divers scénarios s’étalant sur l’essentiel du XIXème siècle, entre 1836 et 1936. Basé sur un nouveau moteur de jeu, Victoria II sorti le mois dernier reprend les concepts du premier opus tout en tentant de répondre à la principale critique qui était formulée à son égard en rendant le jeu plus accessible. Mais saura-t-il nous séduire ?
Les développeurs suédois de Paradox Interactive nous ont habitué à leurs séries. Après avoir sorti des jeux couvrant l’essentiel de l’histoire depuis le XIème siècle (certains joueurs ayant même été jusqu’à commencer une partie en 1066 sur Crusader Kings, la convertissant vers Europa Universalis II puis Victoria et enfin Hearts of Iron II pour finir en 1953 !), ils s’attachent en effet à perfectionner chacun de leurs titres à travers expansions et nouveaux opus.
Europa Universalis III, leur plus grand succès commercial, était sorti en 2007 et révolutionnait l’univers Paradox en utilisant un nouveau moteur 3D (dénommé « Clausewitz ») sur lequel sont basés tous leurs jeux sortis depuis lors (Hearts of Iron III, Victoria II…et bientôt Crusader Kings II).
Victoria premier du nom constituait lui aussi une petite révolution dans l’univers du jeu de stratégie. Comme ses aînés Europa Universalis et Hearts of Iron, il était classé dans la catégorie des « grands stratégiques », ces jeux qui vous placent aux commandes d’une nation et vous permettent d’en diriger l’économie, la diplomatie, l’armée ou encore la recherche. S’il n’a cependant pas eu le succès escompté, c’est essentiellement du fait de sa complexité. Il appartenait en effet au joueur de gérer par exemple la construction de diverses usines dans ses régions si l’idéologie économique de son pays le lui permettait. Il lui fallait également gérer les flux entre classes sociales, ou conversions de POPs sur lesquelles nous reviendrons en détail.
Victoria avait dès lors et assez logiquement été boudé par un public pourtant habituellement rompu aux complexités paradoxiennes. C’est pourquoi Victoria II a été conçu depuis son annonce à la GamesCom de Cologne en août 2009 comme un énorme pari visant à populariser le titre en le rendant plus accessible.
Le directeur général de Paradox Interactive, Fredrik Wester, avait d’ailleurs promis de se raser les cheveux si le jeu était une réussite. Il l’a fait par avance en février dernier, convaincu du succès à venir…mais qu’en est-il vraiment ?
La guerre, continuation de la diplomatie
La diplomatie est au cœur de Victoria II. Cela semble d’ailleurs assez logique eu égard à la période couverte par le jeu.
Les actions diplomatiques disponibles sont dans un premier temps plus nombreuses et plus variées que dans le premier opus. Elles vont de la classique proposition d’alliance à la non moins classique déclaration de guerre en passant par des options plus originales telles que la diplomatie de la canonnière (qui permet de faire céder un pays lorsque des cuirassés sont placés en face d’un de ses ports) ou encore l’expulsion d’une ambassade (ceci n’est possible que pour expulser l’ambassade d’un pays tiers dans un pays qui fait partie de votre sphère d’influence).
Le monde de Victoria II est en effet partagé en sphères d’influence. Celles-ci déterminent en partie le prestige d’un pays (l’un des trois grands paramètres du jeu avec la puissance industrielle et la puissance militaire), lequel peut également être affecté par une foule d’évènements (guerres, découvertes, technologies, etc). Intégrer des nations dans sa sphère d’influence présente divers intérêts au premier chef desquels se situe le fait de pouvoir acheter en priorité des produits sur son marché. Ainsi, plus votre sphère d’influence sera importante, plus vos POPs (encore une fois, nous y reviendrons) pourront acheter leurs biens de consommation mais également les matières premières pour faire fonctionner vos usines au meilleur prix et en bonne quantité.
Englober une nation dans sa sphère d’influence présente encore des attraits diplomatiques puisque vous bénéficierez d’alliés loyaux qu’il vous appartiendra toutefois de défendre contre les influences étrangères.
C’est précisément sur ce point que Victoria II se démarque en proposant une réelle lutte diplomatique entre les grandes puissances dans le monde du XIXème siècle, lutte au cours de laquelle l’intelligence artificielle tient tout à fait son rang. Ainsi par exemple, une réelle lutte d’influence se produira entre la Grande-Bretagne et la France pour la domination de la Belgique. N’hésitez pas à user des options de « discrédit », « exclusion d’ambassade » et d’ « exclusion des conseillers » pour prendre l’ascendant sur un concurrent diplomatique, étant entendu que l’objectif est d’accroître l’opinion du pays cible jusqu’à ce qu’il puisse être placé dans votre sphère. Chaque action vous coûtera un point diplomatique (qui sont générés automatiquement par votre leadership lequel est fonction de divers facteurs dont le pluralisme pour n’en citer qu’un…quand on vous disait que Victoria était un jeu complexe !).
Il y a par ailleurs tout au long du jeu huit grandes puissances qui sont déterminées en fonction du classement général (sur la base du prestige et de la puissance industrielle et militaire) et qui sont les seules à avoir des sphères d’influence. L’accession au rang de grande puissance demeure dès lors un enjeu principal pour le joueur de Victoria II.
En outre, les huit pays suivants sont désignés comme nations indépendantes et peuvent elles aussi se lancer dans l’entreprise de la colonisation, si toutefois leurs technologies le leur permettent (des technologies diminuent le niveau de vie minimum d’une province requis pour pouvoir la coloniser – étant entendu qu’on ne peut coloniser que des provinces frontalières ou côtières). Tous les autres pays seront considérés dans le jeu comme des nations civilisées ou non civilisées et n’auront pas accès à toutes les options diplomatiques ou même politiques.
La course au clocher
Mais à l’image de l’histoire du XIXème siècle, l’histoire d’une partie de Victoria II comporte également son lot de conflits internationaux et d’entreprises coloniales.
Les guerres peuvent être déclenchées par évènement ou manuellement. Il appartient alors à l’agresseur de se fixer des objectifs (qui lui coûteront plus de prestige s’ils ne sont pas justifiés : revendiquer des territoires nationaux ne coûte ainsi pas de prestige). Ceux-ci peuvent aller de l’humiliation diplomatique à l’annexion de régions. Durant le conflit, des points de guerre sont attribués en fonction du cours des évènements (exercer un blocus ou infliger des pertes à l’ennemi accroît par exemple vos points de guerre). Ces derniers permettent enfin de revendiquer vos objectifs de guerre puisque plus ceux-ci seront élevés plus les points requis pour les obtenir le seront également.
L’ensemble simule assez fidèlement les conflits du XIXème siècle, souvent courts et rarement « globaux » dans le sens où les objectifs de guerre seront la plupart du temps limités. Il ne faudra ainsi pas s’attendre à pouvoir annexer la Grande-Bretagne comme dans Hearts of Iron…
La course à la colonisation qui prend avec la conférence de Berlin de 1884-1885 le surnom de « course au clocher » fait partie intégrante du développement des grandes puissances de Victoria II. Mais avant de se lancer dans telle entreprise, votre pays devra rechercher les technologies adéquates (comme expliqué plus haut) dont notamment « Mitrailleuse », « Médecine » ou « Gouvernement et Etat ». Des découvertes se déclenchant aléatoirement une fois que vous aurez recherché ces technologies vous faciliteront également la tâche.
Une fois ces conditions remplies, vous pourrez vous lancer dans la colonisation de territoires non encore appropriés (en Afrique noire notamment) ou encore envahir un pays comme l’Algérie, le Punjab ou encore l’Egypte. Vous devrez alors envoyer des troupes sur place et y construire des bâtiments coloniaux avant de pouvoir revendiquer la province.
Des évènements historiques et aléatoires ne manqueront pas de se produire et permettront de justifier le déclenchement de guerres coloniales entre grandes puissances. Sur ce point, Victoria II simule à merveille les intrigues diplomatiques du XIXème siècle.
Les POPs, élément central de la nation
Une des autres grandes innovations de Victoria était la manière dont il reflétait la manière dont sont composées les sociétés par le biais du concept de « POPs » ou groupes de population supposés homogènes du point de vue des conditions économiques et sociales. On retrouve ainsi dans Victoria II les habituels ouvriers, employés, artisans, agriculteurs, aristocrates, soldats et autres capitalistes. Ceux-ci sont présents dans certaines de vos provinces et ont chacun une utilité et des caractéristiques propres. Ainsi, les agriculteurs travailleront dans des fermes, tandis qu’employés et ouvriers travailleront dans vos usines. Les soldats rempliront encore les effectifs de vos divisions (hors mobilisation, laquelle fait appel aux autres POPs) alors que les capitalistes sont les seuls à pouvoir lancer des projets de construction d’usines (leur propension à le faire dépendra de leurs revenus et de votre idéologie économique).
Il appartenait dans Victoria : An Empire Under the Sun de gérer manuellement la répartition de vos POPs en convertissant ponctuellement un POP d’artisans en ouvriers par exemple ou des employés en capitalistes, selon votre situation économique et votre stratégie. C’est essentiellement de cet aspect micro gestionnaire que provenaient les critiques adressées au premier opus. C’est pourquoi les développeurs suédois de Paradox Interactive ont automatisé ces conversions dans Victoria II. On pourrait par ailleurs arguer que les dirigeants du XIXème siècle n’avaient guère d’influence directe sur l’évolution des classes sociales, et qu’en ce sens, le second opus est plus réaliste que le premier !
Il est vrai toutefois que les fans de la première heure de Victoria regretteront la disparition de cette fonctionnalité qui, quoique pas tout à fait réaliste, apportait néanmoins profondeur et attrait au jeu, notamment durant les longues périodes de paix.
Le joueur conserve toutefois une influence indirecte sur cette évolution sociales par le biais de sa politique économique ou des priorités provinciales (« encourager le Clergé » par exemple). On assistera ainsi durant les parties à la lente industrialisation de l’économie et les bouleversements sociaux qu’elle implique, qui caractérisent le XIXème siècle.
L’industrialisation progressive de vos territoires se traduira entre autres par la construction de nouvelles usines et l’élargissement de vos fermes et mines. Dans les Etats interventionnistes, vous pourrez financer et étendre vous-mêmes ces usines. Dans les Etats qui prônent au contraire le laissez-faire, ce sont les capitalistes qui lanceront et financeront les projets industriels en fonction de leurs ressources et de la demande.
Par ailleurs, l’économie de Victoria II présente de nombreuses ressources (de l’acier aux machines outils en passant par les vêtements de luxe ou les munitions), certaines dont vos usines ont besoin pour fonctionner (les « inputs ») et d’autres qu’elles participeront à produire (les « outputs »). Toutes ces ressources ont une valeur spécifique sur le marché mondial (qui s’ajuste en fonction de la rareté et de la demande), étant entendu que tous vos achats et ventes commerciaux pourront être automatisés.
Il appartiendra donc de veiller à ce que votre économie soit équilibrée dans le sens où vous ne produisiez pas de ressources dont vous disposez déjà en quantité et qui n’ont que peu de valeur sur le marché (comme le poisson). Au contraire, essayez de produire ce dont vos POPs ont besoin, là où la main-d’œuvre est disponible.
Il vous faudra enfin prendre garde à ne pas acheter trop de ressources de sorte que votre budget ne soit pas excessivement déficitaire.
Un jeu plus accessible…trop accessible ?
Le budget, parlons en ! Il est logiquement divisé en deux colonnes qui représentent les revenus et les dépenses de l’Etat. Vous pouvez moduler le taux d’imposition de chaque grande catégorie sociale (pauvres, riches, classe moyenne), étant entendu qu’il sera conseillé dans les premières années de jeu de mener une politique fiscale très injuste au profit des plus fortunés pour attirer les investisseurs.
Prenez toutefois garde à ce que vos POPs les plus pauvres (ouvriers par exemple) aient de quoi subsister car une révolte pourrait bien vite éclater. Celles-ci sont d’autant plus probable que le militantisme de vos POPs (lui-même fonction de leur conscience politique mais bien entendu également de leurs conditions de vie) est élevé. Surveillez donc le poids des factions de rebelles au sein de votre pays dans le cas où l’une d’entre elles venait à se soulever dans vos provinces !
Vous pouvez également jouer sur les droits de douane pour accroître vos revenus, à tout le moins si votre politique économique vous le permet.
Du côté des dépenses, veillez bien à allouer des fonds à la réserve nationale, ce qui vous permet d’acheter des réserves sur le marché mondial de sorte que vos POPs puissent se fournir directement sur le marché intérieur lorsqu’ils ont besoin de ressources. Investir dans l’éducation, le budget militaire ou les dépenses d’administration vous permet par ailleurs d’influer indirectement sur les conversions de vos POPs. Enfin, mener et entretenir des réformes sociales pèsera aussi d’un poids important dans le budget de la nation.
Prenez garde à ne pas sombrer sous les déficits car quand bien vous-même la perspective d’un emprunt peut être tentante, le surendettement pourrait mener votre pays à la banqueroute…comme ce fut le cas historiquement à de nombreuses reprises (banqueroute égyptienne en 1875-1876 par exemple).
Un important volet de politique intérieure vous permettra par ailleurs de mener des réformes tant politiques que sociales, comme expliqué précédemment, pour satisfaire aux revendications de votre population, notamment lorsque l’évènement « Âge du libéralisme » produira ses effets (il augmente le militantisme de vos POPs). Engager de telles réformes aura non seulement un coût économique (immédiat, et voire à long terme dans le cas des réformes sociales) mais peut également avoir un coût politique avec une modification de la nature de votre régime. C’est ainsi qu’une monarchie absolue qui libéraliserait de manière mesurée son droit électoral pourrait devenir une monarchie constitutionnelle dans laquelle auraient lieu des élections (bien que vous puissiez toujours nommer un parti minoritaire au pouvoir).
Certains préféreront mettre l’accent sur l’accès populaire à la citoyenneté et aux droits politiques sur le modèle français tandis que d’autres opteront pour la trajectoire bismarckienne qui accordât aux ouvriers d’abord des droits économiques et sociaux (salaire minimum, syndicats, etc) avant de leur accorder des droits politiques. Les deux options sont viables, étant entendu que si vous libéralisez votre régime politique, divers évènements se déclencheront durant les campagnes électorales qui vous permettront d’avoir une mince influence sur l’opinion de vos POPs.
Ces réformes doivent toutefois être approuvées par la chambre haute, traditionnellement conservatrice, c’est pourquoi la gestion politique de Victoria II frappe par son réalisme en ce que le joueur est amené à réaliser des concessions à chacune des fractions de la société pour garantir la paix sociale et la stabilité de l’Etat.
Un équilibrage à revoir…et qui sera revu…
La recherche technologique est pour sa part assez classique pour un jeu développé par Paradox Interactive puisqu’il appartient de dépenser des points de recherche pour une technologie donnée (une seule à la fois). Chacune apportera bien entendu son lot de modificateurs et certaines pourront déclencher des évènements aléatoires d’inventions.
D’autre part, si de multiples options d’automatisation ou de notifications sont disponibles, certaines manquent toutefois cruellement. On aurait ainsi aimé pouvoir accroître automatiquement l’opinion d’un pays dès que cela est possible plutôt que de devoir le faire manuellement (bien qu’une notification vous soit adressée dès que lors que cette option est ouverte).
Le tutoriel est néanmoins assez détaillé et fournit en quelques minutes un bon aperçu des mécanismes du jeu, que le novice mettra toutefois plusieurs parties à maîtriser. En ce sens, les développeurs suédois ont tout à fait réussi à rendre leur jeu plus accessible, d’autant que l’interface est très conviviale et permet d’accéder aux menus en un nombre minimal de clics.
Mais malgré toutes ses réussites, le jeu souffre néanmoins en version 1.1 de nombreux défauts d’équilibrage. Les conversions des POPs sont en effet bien peu réalistes, leurs rebellions trop nombreuses et certains évènements se produisent de manière trop uchronique (Guerre de Sécession dans les années 1840).
On aurait également apprécié disposer de plus qu’une seule grande campagne (1836) comme c’était le cas dans Victoria avec des campagnes 1848, 1861 ou encore 1914 !
Les développeurs ont toutefois promis de résoudre la plupart de ces problèmes avec le patch 1.2 que nous avons essayé à la GamesCom de Cologne et qui devrait être disponible d’ici quelques jours.
Enfin, lorsque vous maîtriserez les bases du jeu, il est conseillé de vous tourner vers des modifications soumises par la communauté de joueurs.
En la matière, divers mods sont recommandés. Ils sont tous disponibles en français sur le site et le forum de Strategium.
Divers fichiers y sont notamment proposés par Empereur Nicolas et ont pour but de rééquilibrer les mécanismes du jeu en attendant 1.2. Un mod Afrique Tribal se concentre pour sa part sur les mécanismes de la colonisation africaine en ajoutant évènements historiques et factions tribales permettant de rendre le déroulement du jeu plausible.
Enfin, un gros mod Strategium Edition est actuellement à l’étude par les membres de la rédaction du site et devrait notamment comporter une revue complète de la version française du jeu qui laisse réellement à désirer.
Test réalisé par Fernando Torres en 2009