Depuis son annonce par Paradox en fin d’année dernière, Lionheart : King’s Crusade s’est vu affublé du statut de « Total War-Like ». Un costume difficile à porter tant la série créée par Creative Assembly brille depuis le premier Shogun : Total War par son inventivité et une richesse sans limite. Pourtant, tout au long de son développement, force est de constater que ni Paradox, ni Neocore, le studio hongrois derrière ce projet, n’ont cherché à démentir. Ils ont certes tenté de mettre en avant le coté RPG assumé de leur bébé mais, nul n’est dupe ! Le lien de parenté est évident : tous les deux proposent des batailles en temps réel impliquant des milliers de soldats, entrecoupées de phases de gestion sur une carte 2D découpée en provinces. Au point que la comparaison s’avère inévitable. Deux semaines après sa sortie, qu’en est-il donc de ce Lionheart : King’s Crusade ? Faux airs de Total War ou concurrent assumé ? Véritable coup de pied au derrière de la concurrence ou coup d’épée dans l’eau ? Et si le costume était trop grand…
Lionheart : King’s Crusade prend place, comme son nom l’indique, lors de la troisième croisade, celle qui vit Richard Coeur de Lion reprendre Saint-Jean d’Acre aux Infidèles de Saladin. De 1189 à 1192, Vous pourrez donc y incarner les Croisés Anglais et les Sarrasins, chacun ayant droit à sa propre campagne. Ainsi le tutorial vous permettra de revivre le débarquement des forces occidentales sur l’île de Chypre. Il sera également l’occasion de vous familiariser avec les commandes des batailles en temps réel. Vous enchainerez ensuite sur le siège d’Acre avant d’avoir carte blanche pour reprendre les territoires perdus par Guy de Lusignan. Du coté des Sarrasins, la campagne vous proposera de repousser l’invasion des troupes de Richard à travers une quinzaine de missions scénarisées. Scénarisées dit-il ? Oui car contrairement à la série des Total War, les deux campagnes de Lionheart : King’s Crusade brillent par une scénarisation plutôt prenante.
Ainsi, la campagne se déroule sur une carte en 2D affichant une partie du moyen-orient, depuis le delta du Nil jusqu’à Bagdad. Cette carte est découpée en 16 provinces de taille, de forme et de topographie différentes. La couleur de ces provinces indique leur propriétaire : doré pour les Croisés et rouge sang pour les Sarrasins. Cette carte est le lieu où vous pourrez, entre deux batailles en temps réel, gérer vos armées, vos Héros et choisir vos prochaines missions. Concrètement, cinq menus sont à votre disposition sur la gauche de l’écran. Le premier vous permettra de recruter, de renforcer et d’améliorer (infanterie légère vers infanterie lourde, etc) vos troupes. Les deuxième et troisième menus risquent bien de décontenancer les habitués du genre puisqu’ils illustrent parfaitement le petit plus voulu par Neocore : une bonne dose de RPG parfaitement assumé. Ainsi, ces menus vous permettront de gérer votre armée en lui affectant des armes plus puissantes, en utilisant les points d’expérience acquis pour augmenter telle ou telle caractéristique et en leur donnant des compétences uniques. Si la piétaille a droit à vos faveurs, les Généraux ne sont bien évidemment pas en reste. Richard Coeur de Lion et Saladin, pour ne citer qu’eux, s’amélioreront au fil des combats de la même manière qu’un Héro à Warcraft 3 : vos points d’expérience débloqueront de nouvelles capacités et vous permettront d’accentuer la puissance d’une capacité déjà acquise. Vous pourrez même choisir de les équiper avec une des nombreuses Reliques qu’offre le jeu. Il s’agit en réalité de puissants artefacts au caractère sacré, capable de sublimer votre moral, d’accentuer votre vigueur au combat, etc. Néanmoins, tant que votre niveau de piété n’aura pas atteint un certain seuil, vous ne pourrez en porter qu’une seule. Que faire donc des autres babioles trouvées ? Vous pouvez bien évidement les vendre mais le plus intéressant à long terme reste de les envoyer en cadeau aux Etats du Pape.
Le jeu ne se limite pas en effet aux seuls anglais et musulmans. Du coté des Croisés, vous devrez ainsi composer avec 4 puissantes factions, impliquées à divers niveau dans la troisième croisade. En plus des Etats du Pape, garant de la vraie Foi, vous devrez vous attirer les bonnes grâces de Philippe Auguste, Roi de France, de Frédéric Barberousse, Empereur du Saint Empire Germanique et de la confrérie des Templiers. La gestion de ces 4 factions est clairement un atout du jeu car elles interviennent à tous de nombreux niveaux. Ainsi, plus vous sympathiserez avec l’une d’elles, plus celle-ci vous donnera d’avantages : caractéristiques de vos héros en hausse, armée plus importante, réduction sur les couts, etc. Vos relations, et les bonus qui en découlent, sont ainsi représentés dans le 4e menu par un arbre de progression. Chaque palier demande 2 à 3 grâces et vous donne un avantage. Plus vous montez haut dans l’arbre, et plus les avantages sont conséquents. Comment gagner ces grâces ? En résolvant des évènements politiques à la faveur d’une des factions. Ainsi, tout au long de votre partie, des missions secondaires interviendront. Représentées sous la forme d’icônes sur la carte (Un parchemin, un marchand, un soldat, une ville, etc), ils resteront là jusqu’à ce que vous interveniez. En cliquant sur l’icône, vous ouvrirez alors une fenêtre vous résumant la situation et vous demandant le plus souvent de prendre partie pour une ou l’autre des factions. Par exemple, Français et Templiers vous demanderont d’aider un des leurs à monter sur le trône de Chypre. Votre choix fera monter votre relation avec l’heureux élu et la baissera avec l’autre. Des choix cornéliens vous attendent. D’autant que leur influence ne s’arrête pas là. Chacune de ces factions a également son mot à dire lorsque vient le moment de choisir une des missions principales de la campagne. En effet, une fois que vous avez terminé de recruter de nouveaux régiments, d’améliorer les survivants de la dernière bataille, il est temps de vous lancer à la conquête d’une nouvelle province. Il vous suffit pour cela de cliquer sur la province de votre choix. Une nouvelle fenêtre apparaitra et vous expliquera l’enjeu et les récompenses associées à cette bataille. Si vous choisissez de vous lancer dans cette mission, un choix vous sera demandé. En effet, chaque faction vous proposera son propre plan de bataille et vous demandera de remplir des objectifs qui lui sont propres ! Ainsi, lors d’une attaque sur Alexandrie, vous devrez faire face à une violente contre-attaque sarasine. Les Français vous proposeront d’utiliser votre cavalerie pour briser leur armée en marche, tandis que les Templiers, plus modérés, vous demanderont de cacher vos unités dans les bois environnants pour leur tendre une embuscade. Dans un cas, votre objectif sera de préalablement chasser la petite troupe d’Infidèles placée sur la colline qui surplombe la route. Dans l’autre, vous devrez investir les bois et veiller à ce qu’aucun éclaireur sarasin ne puisse signaler votre présence. De vos choix, dépendront le déroulement et la difficulté de la bataille mais également vos relations avec les 4 factions ! Un système très riche.
Malheureusement, cette scénarisation, très plaisante, ne saurait cacher un problème de taille qui rapidement s’impose au joueur : la grande pauvreté de la phase de gestion. Sur ce plan, la comparaison de Lionheart : King’s Crudade à n’importe quel Total War fait mal, très mal ! Hormis le choix de suivre telle ou telle faction lors des missions principales et secondaires de l’intrigue, le joueur n’aura en effet presque rien à faire !. Ni gestion des territoires conquis, ni capacité d’espionnage, ni développement économique ou technologique (si peu coté musulman). Surtout, cette phase n’est pas dynamique : le temps ne progresse que par la réalisation de mission, et donc de bataille. Du coup, il vous est presque impossible de perdre un territoire puisque le Sarrasin n’intervient que lors des batailles. Très peu de choix, aucun challenge (car pas d’adversaire), cette phase n’a d’intérêt que pour permettre l’ajout d’un coté RPG au jeu. Ce constat pourrait n’être en rien néfaste pour le jeu, bien au contraire. Après tout, c’est exactement ce qui a vallut à Warhammer 40.000 : Dawn of War 2 d’être élu meilleur RTS 2009. Mais même là, la sauce ne prend que difficilement. Si un tel système a largement fait ses preuves pour l’amélioration d’un Héro ou d’une petite escouade, cela devient plus délicat quand il s’agit de gérer des miliers d’hommes. Il n’est déjà pas facile de justifier la présence d’une armure et de cinquante pièces d’or dans les poches d’un dragon noir ou sur le cadavre d’un MeKa Ork. Alors, imaginez quand le jeu vous annonce fièrement que vous avez obtenu en tuant 30 pauvres cavaliers légers, suffisament de flèches acérées pour équiper deux cents archers pendant toute la campagne. Ou pire, que le Capitaine adverse se trimballait avec suffisament de potion magique pour rendre invincible une armée de gaulois… euh d’Infidèles pendant X secondes. Certains diront qu’il avait juste un druide particulièrement doué à ses cotés. Auquel cas, pourquoi cette potion disparait dès que vous l’utilisez ? A moins que la potion ne provoque un effet « Obelix » : une fois qu’on est tombé dedans, impossible d’en reprendre ? Bref, à trop vouloir se démarquer de son imposant rival, le titre de Neocore se perd un peu. Ce dérapage « fantastique » fait d’autant plus tache que le jeu se veut respectueux de l’histoire et parvient à nous plonger dans l’atmosphère de l’époque (cela reste un jeu tout de même, pas une simulation historique). Reste qu’au niveau du gameplay, l’approche est intéressante quoique pas assez travaillée.
Heureusement, le coeur du jeu est ailleurs. Car Lionheart : King’s Crusade se veut avant tout une simulation de batailles titanesques, pouvant impliquer plusieurs milliers de soldats. Là encore, difficile de ne pas faire le parallèle avec Total War, puisque celui-ci a donné ses lettres de noblesse au genre. Sauf que cette fois, le jeu de Neocore s’en sort avec les honneurs. Les unités répondent bien, la gestion du terrain est primordiale et le moteur physique suit. Niveau gameplay, le jeu se prend très facilement en main. Il suffit de sélectionner son régiment, de lui indiquer où se placer et le régiment obéit. Si au lieu de lui indiquer un lieu, on lui indique une unité adverse, il ira aussitôt l’attaquer. D’autres options viennent bien évidemment se rajouter à ce système : la possibilité de faire courir nos hommes, de les faire battre en retraite, de changer leur formation de combat et d’activer/désactiver l’option attaque automatique. Pour leur part, les cartes proposées, parce que scénarisées, offrent de multiples objectifs à remplir, parfois en séquence. Le level design est de ce point de vue très intéressant car il offre de multiples possibilités : ici une large colline idéale pour profiter de la portée de vos archers, là un étroit corridor pour réduire à votre avantage l’écrasante supériorité de votre ennemie. Le gameplay n’est pas en reste. La gestion des batailles vous demandera une grande précision et une excellente connaissance des forces et faiblesses de vos unités, mais également, RPG oblige, de leurs caractéristiques et des compétences qu’elles auront gagné au fil des combats. Les habitués ne devraient toutefois pas être trop dépaysés : la cavalerie reste très efficace sur les flancs et contre les unités légères (archers ou infanterie légère), l’infanterie lourde redoutable contre l’infanterie légère et les lanciers, les archers meurtriers contre l’infanterie. La gestion du morale enfin apporte un élément supplémentaire qui, s’il est négligé, pourrait bien vous couter la victoire. Enfin, que serait un RTS de masse, sans une IA performante. Sans être exceptionnelle, celle de Lionheart fait parfaitement l’affaire, du moment que l’on choisit un niveau de difficulté élevé (Oubliez tout ce qui est en dessous de « normal »). Elle présente tous les archétypes attendus : raid de cavalerie si vos archers sont isolés, maintien d’un front uni d’infanterie lourde au centre et légère sur les cotés, tentative de contournement, embuscade, etc. Son seul gros défaut vient justement d’une envie un peu trop pressante d’obéir à ces archétypes. Au point de ne pas retraiter sa cavalerie quand les archers que vous aviez avancé en appat se sont cachés derrière votre ligne de lanciers. Mais si vous n’abusez pas trop de ce défaut, vous devriez y trouver du répondant. Dans l’ensemble, les batailles sont le meilleur morceau du jeu. Encore heureux diront certains, puisqu’il s’agit quand même de l’intérêt principal de ce genre de jeu.
Toutefois, même ici, certains détails pêchent. Ce n’est pas toujours un élément important mais pour qui a joué à Total War, cela en devient rapidement gênant voir irritant ! A commencer par certains manquent dans les options proposées. Ainsi, il est impossible de définir soi-même la formation souhaitée par nos unités ni de mettre en triangle sa cavalerie. Dans le même temps, le jeu propose d’office une option d’attaque automatique qui risque bien de vous faire perdre quelques cheveux ! Il est en effet particulièrement ennuyant de voir son infanterie légère s’attaquer d’elle même à une cavalerie lourde en train de charger, juste sous prétexte que celle-ci passait pas trop loin d’elle. Autre défaut : le jeu gère très peu le friendly fire, au point que laisser vos archers tirer alors que votre infanterie est déjà au corps à corps ne provoquera que très peu de pertes de votre coté. Plutôt étrange. Ajoutez à cela quelques bugs comme vos unités incapables de tuer une unité en fuite (elles les rattrapent, s’arrêtent, frappent dans le vide et repartent) et vous comprendrez que, si ces manques ne sont pas inexcusables, ils viennent légèrement ternir le portrait idyllique qu’on pouvait se faire des batailles.
Ce portrait est également bien plombé par la réalisation technique du jeu. A petit budget, petites ambitions. Aussi, le moteur graphique du jeu paie très cher la comparaison avec Total War : certes, ce n’est pas moche mais ce n’en est pas beau pour autant. Les textures sont simplifiées, les couleurs peu aguichantes, et les détails assez rares. Et ne comptez pas trop sur le dézoom pour améliorer les choses car l’aliasing très poussé donne presque des impressions de bug graphique. En réalité, seules les unités, quand elles sont regardées de très près, et les jolis effets de lumière (couché de soleil notamment) offrent un spectacle intéressant. Mais même dans ces moments-là. le simple fait d’avoir déjà joué à un titre de Créative Assembly gâche tout. De leur coté, la bande son est plutôt correcte : les musiques sont sympathiques tandis que les bruitages se contentent de faire leur office sans pour autant transporter le joueur au coeur de la mêlée. Dernier défaut qui devrait en refroidir plus d’un : hormis le manuel, tout le jeu est pour l’heure, uniquement disponible en anglais.
Un dernier mot sur le multijoueur du jeu. Bien que n’ayant pu le tester contre un joueur en chair et en os, je peux dores et déjà vous assurer qu’il brille par son classicisme : chaque joueur dispose de fonds propres, fonds qu’il vous faut utiliser pour composer votre armée. Une fois cette étape validée, il ne reste plus qu’à choisir la carte et les conditions de jeu (siège ou bataille normale). Simple et efficace.