Civilization V

S’il est une série parmi les jeux de stratégie/gestion qu’il est devenu inutile de présenter, c’est bien Civilization. Depuis l’adaptation sur PC du jeu de société du même nom, il y a 19 ans, le bébé de Sid Meier n’a cessé de connaitre le succès. La tache qui attendait Firaxis lors du développement de Civilization V n’était donc pas des moindres : conserver l’âme du jeu, tout en le renouvelant suffisament pour justifier le passage des fans à ce nouvel opus. Plus facile à dire qu’à faire ! Car comment enrichir un jeu déjà si riche ? Qu’ajouter pour sublimer ce qui est déjà un chef d’oeuvre ? La réponse apporté par le studio tiens en deux mots : hexagone et accessibilité. Une réponse qui ne plaira pas à tout le monde…Pour le grand public, le tour par tour n’a pas vraiment bonne réputation : lent, rebutant et trop prise de tête. Cette fausse image a longtemps cloisonné les cadors du genre au statut de jeux de niche : Heroes of Might and Magic, X-Com, Civilization, etc.

Aussi, dès le début du développement de Civilization V, Firaxis a décidé de faire voler en éclats ces préjugés en axant son jeu sur l’accessibilité et la convivialité. Le but avoué était, bien sûr, d’attirer de nouveaux joueurs, et donc de nouveaux clients. Mais tout ce processus ne devait pas se faire au détriment des fans de la première heure. Un mélange délicat, relevant de l’art du « changement dans la continuité ». Autant le dire, du changement, il y en a dans ce Civilization V.

A commencer par l’interface du jeu qui a subit un sacré lifting. Plus ronde, plus colorée, c’est un véritable régal pour les yeux. Elle se révèle également idéale pour initier les nouveaux : seules les informations indispensables sont dévoilées et d’énormes icônes flashies apparaissent à chaque tour sur la droite de l’écran pour indiquer au joueur les points urgents qui nécessitent son attention. Le bouton « Tour suivant » a lui aussi profité de ce remaniement. Il est devenu bien plus imposant et, surtout, sert désormais de raccourci pour lancer une recherche ou une nouvelle construction quand ces dernières sont disponibles. Le tout petit bouton de Civilization IV n’est donc plus qu’un mauvais souvenir. Dans le même genre, chaque élément visible à l’écran, que ce soit sur l’interface ou sur la carte de jeu, propose une infobulle complète dès qu’il est survolé par le curseur de votre souris. Très pratique, même pour les vieux de la vieille qui pourront ainsi plus facilement découvrir les légers changements opérés ici et là.Mais que vaut cette interface une fois en action ? Là encore, son utilisation est idéale pour le débutant. Chaque début de tour, le jeu vous mène par le bout du nez en vous amenant automatiquement d’une tache à une autre, allant jusqu’à vous empêcher de passer votre tour tant que tout ce joli petit monde n’a pas reçu des ordres précis. Même vos choix de construction ou de recherche sont guidés par de petits symboles de couleur représentant les différents domaines du jeu : militaire, culture, recherche scientifique, développement économique. Enfin, si malgré cela, vous ne savez toujours pas quoi faire, quatre conseillers accessibles en un clic viendront vous indiquer ce qui va et ne va pas dans votre empire. Quand ils ne font pas spontanément irruption sur l’écran de jeu pour vous aider, à la manière d’un mini-didacticiel. Si le néophyte appréciera ce superbe travail d’accompagnement du joueur, les hardcore gamers, ceux qui connaissent déjà par coeur le jeu, vont rapidement se heurter aux limites d’un tel système. Ainsi, l’effort de simplification de l’interface a renvoyé tout ce que Firaxis a jugé « trop compliqué » dans les méandres des sous-menus. L’arbre des recherches, le classement des différents Empires présents selon divers critères, l’écran des relations diplomatiques (un récapitulatif est directement accessible mais il est trop incomplet pour aider le joueur) ne sont donc plus accessibles à moins de 3 clics. Autre petit défaut de cette « épuration », l’écran a rapidement tendance à trop se remplir, sitôt qu’un joueur décide d’activer tous les panneaux informatifs. Au point que certaines informations sont masquées. Une petite faute de goût qui ne suffit tout de même pas à gâcher la bonne impression qui se dégage de cette nouvelle interface.

Restons dans la forme pour nous intéresser dès maintenant au moteur du jeu. Là encore, la volonté du studio a été de tordre le cou aux idées reçues. Si les différents Civilizations n’ont jamais eu à se plaindre de leurs graphismes, Civilization V ne déroge pas à la règle. Beau et immersif, il l’est. Le jeu propose de nombreuses animations venant casser le coté « figé » du tour par tour, notamment pendant les combats. Les couleurs sont chatoyantes, les textures détaillées. Le tout profite de cartes au design travaillé et ayant chacune des spécificités à faire valoir, malgré leur génération aléatoire. Enfin, les effets sonores et les musiques sont d’excellente facture et nous plongent avec délice dans l’ambiance parfois feutrée parfois guerrière du jeu. Bien sûr, le jeu ne joue pas dans la même cour que les ténors actuels (Dawn of War 2 en tête). Ne vous attendez donc pas à vous faire décoler la rétine. De toutes manières, il est difficile de demander plus à un jeu qui doit déjà gérer de très nombreux paramètres et qui, par conséquent, sollicite beaucoup le processeur. Peut-être trop d’ailleurs ! Car, si les premiers tours ne posent aucun soucis, certaines fins de partie, plus particulièrement sur les grandes cartes, se rapprochent davantage du diaporama. Même sur un PC plutôt puissant. Gageons que, comme pour Civ IV en son temps, les futurs patchs viendront optimiser tout cela. Ils en profiteront dans le même temps pour corriger les quelques bugs (Sur notre version de test, une des décisions sociales baissait notre capacité de production au lieu de l’augmenter) et anomalies graphiques.

Passons maintenant aux choses sérieuses en abordant les trois grandes nouveautés, sensées justifier à elles seules l’achat de ce cinquième épisode pour les fans de la série : le nouveau système de combat, les cités-états et les doctrines sociales.Le changement le plus frappant est certainement la règle interdisant à deux unités militaires de partager la même case. Dit ainsi, cela peut paraître bénin. Mais c’est en réalité la plus grande révolution qu’ait jamais connue la série. Auparavant, les joueurs avaient tendance à accumuler sur une même case, toutes leurs unités. Cette armée invincible, ou « pile de la mort », semait dès lors la terreur sur son chemin. Le seul moyen de l’arrêter était de lui opposer une autre « pile de la mort » au moins aussi puissante en qualité comme en quantité. Le manque d’intérêt stratégique était flagrant. A l’inverse, avec ce nouveau système, le joueur doit désormais parfaitement gérer le placement de ses troupes et leur répartition sur la carte. Pour les y aider, le jeu est désormais découpé en hexagone. Les déplacements et positionnement sont donc plus précis. Enfin, certaines unités comme les archers ou l’artillerie peuvent désormais attaquer jusqu’à une distance de 3 cases. Les possibilités tactiques en sont démultipliées. Au final, ce nouveau système de combat est tout simplement génial et ajoute une toute nouvelle dimension tactique au jeu. Grâce à lui, il n’est pas rare de voir un joueur en infériorité numérique contenir voir repousser une attaque massive d’un de ses voisins. Un autre point appréciable est le fait qu’attaquer un colon ou un ouvrier adverse ne se terminera plus dans un bain de sang. L’unité civile ainsi attaquée rejoindra vos rangs. La refonte de l’aspect militaire du jeu ne s’arrête pas là. Le jeu propose ainsi des « ressources stratégiques » telles que le fer, les chevaux ou encore le pétrole. Ces ressources se récupèrent comme les autres en installant un aménagement sur le gisement (la mine pour le fer par exemple). Mais leur possession est déterminante dans votre capacité à produire telle ou telle unité militaire. Ainsi, n’espérez pas recruter des cavaliers si vous ne disposez pas de chevaux. Cet aspect de géopolitique vous conduira parfois à installer une ville dans un coin paumé dans l’unique but de priver d’une de ces ressources, votre adversaire. Lequel, se sentant agressé, n’aura d’autre choix que de vous déclarer la guerre en retour. Que du bonheur ! Firaxis n’a pas développé que l’aspect militaire du jeu. Il a également voulu rendre tout aussi passionnante la diplomatie. Outre l’apport de nouvelles possibilités, cela se caractérise principalement par l’ajout des Cités-Etats, des nations neutres qui ne jouent pas la victoire finale et qui n’ont qu’une seule ville. Tout au long de votre partie, vous rencontrerez un grand nombre de ces cités (leur nombre peut être défini en début de partie) et devrez alors décider si vous les attaquez ou tentez de les amadouer. Les combattre ne vous rapportera rien d’autre qu’une ville supplémentaire. En revanche, si vous décidez d’en faire vos alliés, elles vous offriront une assistance militaire en cas d’attaque, différentes ressources, un peu de leurs compétences scientifiques plus un bonus dépendant de leur « type » : militaire, naval ou culturel. Pour cela, il vous faudra acheter leur amitié ou les résoudre les missions qu’elles ne manqueront pas de vous proposer. Si, sur la papier, l’idée semble excellente, elle se révèle en pratique particulièrement inintéressante. Le prix a payé pour les amadouer est en effet excessif (comptez 750 en or pour faire d’une ville neutre, un allié) et vos relations se dégradent rapidement (comptez 30 tours ou moins pour perdre votre statut d’allié). Au point que vous ne pourrez que difficilement garder plus de 2 ou 3 cités dans votre giron. Autre désavantage, ces villes sont souvent la cible des IA ce qui, par le jeu des alliances, peut rapidement déclencher une guerre mondiale avant l’heure. A l’inverse, les bonus ne sont pas toujours déterminants, surtout quand on sait qu’il suffit de 3 unités d’attaque pour les conquérir et ainsi hériter d’une partie des dits bonus. Résultat, seuls les joueurs visant la victoire culturelle ou ceux se la jouant « role play » trouveront un intérêt à se montrer bienveillants envers elles. Pour les autres, en absence de rééquilibrage, les cités-Etats constitueront un coup d’épée dans l’eau de la part de Firaxis. Dernière nouveauté, sensée remplacer le système de gouvernement de Civilization IV : les doctrines sociales. Celles-ci se découpent en 10 arbres de développement à débloquer. Chacun est centré sur un aspect du jeu et vous donnera accès à des bonus correspondants. Ainsi, l’Honneur gonflera vos compétences militaires, notamment contre les barbares très génants en début de partie, tandis que l’Egalité améliorera la culture que vous générez. Et cela tombe plutôt bien car c’est grâce à votre culture que vous pourrez débloquer les différents arbres et l’une des 5 doctrines que chacun comprend. Pour cela, vous devrez atteindre un certain nombre de points de culture, nombre qui dépendra de l’étendu de votre Empire et de votre avancée dans le jeu. A chaque achat, votre stock de points de culture revient à zéro et le palier à atteindre augmente. Au fil des siècles, votre peuple jouira d’avantages toujours plus nombreux et vous pourrez ainsi prendre l’ascendant sur vos adversaires. Il est toutefois dommage que les doctrines ne se valent pas toutes. Ainsi, certains arbres s’imposent comme indispensables tandis que d’autres ne seront utilisés que dans des cas particuliers, voir jamais. L’impression qui s’en dégage est celle d’un système artificiel voir bancal. Pourquoi ne pas avoir accentué les bonus et y avoir associé des malus, afin de vraiment pousser le joueur à se spécialiser ? Peut-être de futurs patchs pourront-ils remédier à ce malaise. Quoiqu’il en soit, le principal intérêt de ces doctrines est à chercher ailleurs. En effet, si vous parvenez à terminer 5 branches sur les 10, vous pourrez construire le projet Uthopia et ainsi prétendre à la victoire culturelle. Ce système remplace donc la nécessité d’avoir 3 villes cumulant au moins 50.000 points, présent dans le précédent opus. Ce changement rend bien plus intéressant la stratégie culturelle puisqu’elle vous donnera accès à plus de doctrines et plus vite. En contrepartie, les conquêtes « culturelles » ne sont plus possibles. En effet, dans Civilization V, vos frontières ne peuvent plus grignoter le territoire adverse autrement que par la guerre et la capacité spéciale des Artisans Illustres. Votre seule marge d’action est d’utiliser votre argent pour « acheter » telle ou telle case et ainsi diriger la direction de votre expansion. Ce nouveau système permet de beaux coups, surtout combiné aux ressources stratégiques, mais il reste difficile de dire si le joueur gagne réellement au change par rapport à avant. Des dents vont certainement grincer.

Pour le reste, Firaxis a réussi à parfaitement conserver tout le charme d’un Civilization. Vous pourrez toujours choisir votre peuple de départ parmi les 18 civilisations proposées. Petite différence toutefois avec les précédents opus : chaque civilisation ne dispose plus que d’un seul chef : Napoléon pour les Français, Ramses II pour les Egyptiens, Elizabeth II pour l’Angleterre, etc. A vous ensuite de définir précisement les paramètres de votre partie (taille et type de la carte, nombre d’adversaires, etc) et de vous lancer dans 6000 ans d’histoire ! La construction de votre Empire demandera des choix stratégiques toujours aussi cornéliens tandis qu’il vous faudra surveiller de prêt vos concurrents dans la course à la victoire. Celle-ci s’acquière pratiquement par les mêmes voies : victoires militaires, culturelles, scientifique, diplomatique ou aux points. Seule la victoire territoriale, peu utilisée, a été abandonnée. A vous de choisir vos conditions et de vous y tenir. En effet, les victoires scientifiques, diplomatiques et culturelles, notamment, demanderont beaucoup d’efforts et une stratégie murement réflechie pour arriver à terme. Car n’oubliez pas que le jeu reste une course où vos adversaires feront tout pour remplir leurs conditions de victoire avant vous. Vos neurones risquent d’être mis à rude épreuve. Mais plus que tout, la preuve ultime que la sauce prend toujours, c’est qu’inlassablement, vous repoussez toujours au tour suivant le moment de sauvegarder et quitter. Le célèbre syndrome du « Encore un tour ». Et ce n’est pas ma tête de mort-vivant qui pourra vous convaincre du contraire.

Si Firaxis a bien travaillé pour renouveler les sensations de ce Civilization V, cela ne s’est pas fait sans heurt. Certains aspects de la série, que tout un chacun croyait pourtant acquis, ont ainsi été sacrifiés sur l’autel de l’accessibilité. A commencer par les religions. Apportées par Civilization IV, elles apportaient un élément important du gameplay et permettaient de simuler les guerres de religion qui ont marqué l’Humanité. Ici, elles se résument à une simple doctrine qui rendra un peu plus heureuse votre population. Les prêtres ont donc disparu également. Ils étaient pourtant un excellent moyen de se déplacer en toute impunité sur le territoire de votre voisin et d’espionner ainsi ses moindres faits et gestes. Puisque nous parlons d’espionnage, sachez que les espions sont également passés à la trappe. L’impact d’un tel choix sur le jeu est alors considérable : il devient impossible de savoir ce que vaut réellement l’armée de votre adversaire, quels sont ses points faibles ou s’il prépare une offensive d’envergure. Et que dire de l’écologie, réduite à sa plus simple expression, et qui constituait un des seuls moyens de contrôle contre les Empires spécialisés dans la production ? Enfin, il est étonnant que l’option hotseat (possibilité de jouer à plusieurs sur le même PC, chacun à son tour) ait été supprimée. Présente depuis 19 ans, elle était un pilier de la série et des jeux en tour par tour en général. Au point que tous ces manques et ces déséquilibres flagrants décrits plus haut poussent à se demander si Firaxis n’en aurait pas garder sous la pédale en prévision de futurs DLC ou extensions. La question mérite d’être posée.

Les Plus

Les Moins

Appréciation globale